Sondage IFOP pour Sud Radio, réalisé du 25 au 28 avril 2016 auprès d’un échantillon de 1 419 personnes, parmi un total de 1 550
Sondage ELABE pour Les Echos et Radio Classique, réalisé du 26 au 27 avril 2016 auprès d’un échantillon de 911 personnes, parmi un total de 1 000
Sondage BVA pour Orange et la presse régionale, réalisé du 13 au 16 mai 2016 auprès d’un échantillon de 927 personnes, parmi un total de 1 000
1. Le sondage IFOP n’avait pour vocation que de tester l’hypothèse Macron et il en sera question plus bas.
Quant aux sondages ELABE et BVA, ils viennent marquer, comme prévu, un très léger redressement de Hollande, tombé trop bas et qui reprend un peu par rapport à Mélenchon. Néanmoins, Duflot connaît un très léger frémissement (ce qui confirme l’article précédent sur le rôle d’EELV comme réceptacle de certains déçus du socialisme et sur la persistance, quelles que soient les tribulations, implosions et explosions écologistes, d’un socle électoral écologiste qui empêche l’annihilation totale souvent pronostiquée à leur égard).
Ces derniers sondages marquent un certain tassement d’une Le Pen muette, à qui le climat de « chienlit » ne semble pas profiter, et une bonne tenue confirmée pour Dupont-Aignan qui reste au-dessus de 5 %, grâce à l’exaspération d’une frange de la droite traditionnelle, que la surenchère économique libérale des principaux candidats à la primaire ne devrait pas faire retomber.
Ils montrent que les candidats de droite autres que Juppé ne bénéficient pas encore de « l’effet primaire », Fillon et Le Maire restant fragiles par rapport à Valls et surtout Macron, voire Bayrou en ce qui concerne Le Maire, Sarkozy pouvant même être menacé dans l’hypothèse Macron.
La relativement bonne performance de Bayrou illustre le problème récurrent de la droite écartelée entre centre et aile « dure », que seul Juppé est pour le moment en mesure de résoudre, sur le papier en tous les cas.
Lorsque la situation se sera décantée (mais peut-être faudra-t-il attendre l’automne… 😦 ), il sera possible de discerner les biais des différents instituts, ce qui est encore impossible au regard du faible nombre de sondages et du trop grand nombre d’hypothèses testées.
Néanmoins, une certitude existe : la flambée sondagière Macron est artificielle et irréaliste.
2. Ce blog a déjà évoqué le parallèle Tapie-Macron dans la volonté respective de détruire Rocard (1994-95) et Valls (2015-16), en considérant toutefois que Hollande se serait moins débrouillé que Mitterrand car ayant perdu le contrôle de sa création. En réalité, il faut peut-être nuancer cette analyse.
D’abord, Tapie aurait tout aussi bien pu poursuivre l’idée d’une candidature présidentielle après son émergence politique en 1992 et son succès aux européennes de 1994, réalisant l’objectif mitterrandien de destruction d’un Rocard enfin à la tête du PS. Mais les « affaires », en 1993-95, en ont décidé autrement.
Ensuite, Macron réussit mieux, du point de vue de Hollande, que Tapie vis-à-vis du centre : l’hypothèse Delors (qui ne plaisait pas non plus à Mitterrand) a émergé malgré Tapie, alors que Macron rend encore plus inaudible Bayrou et vient gêner le centre-droit.
Ces éléments montrent peut-être que Hollande est en réalité peut-être toujours à la manœuvre derrière Macron.
3. Parmi toutes les tactiques passées ou en cours, je ne reviendrai pas sur l’utilisation des Hue, Bennahmias et dissidents d’EELV, déjà évoquée dans l’article précédent et parachevée par l’éclatement du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. Pour toutes ces manœuvres, ce qui est intéressant pour Hollande, ce sont surtout les vraies-fausses candidatures ou les candidatures putatives (Taubira, Hulot, Macron), qui créent de la confusion et affaiblissent les candidatures potentielles sérieuses et les vraies candidatures (Mélenchon, Duflot, Juppé).
Le départ de Taubira du gouvernement n’a pas été un choix de principe de Hollande. Mais il a tenté, comme souvent, de tirer profit du calendrier et des modalités, en la retenant le plus longtemps possible et en lui permettant de partir correctement, afin de ne pas en faire une irréductible ennemie potentielle, tout en la « remettant en liberté » comme un obstacle potentiel pour Mélenchon.
La flatterie à l’égard de Hulot, bien volontaire celle-là, n’a pas fonctionné, n’écartant pas (par une inclusion au gouvernement) le risque de candidature de l’animateur de télévision, mais l’entretenant suffisamment dans l’ambiguïté pour qu’il s’abîme quelque peu sur le plan personnel (et soit donc potentiellement moins dangereux pour Hollande), tout en continuant à affaiblir la candidature à venir de Duflot.
Le lancement de Macron parmi les candidats potentiels est plus réussi en première phase. Il permet en réalité d’affaiblir au-delà de Valls. A priori, c’est le candidat du centre-droit, ou plus exactement le (peut-être) futur candidat de la droite classique en mesure d’attirer le centre et le centre-gauche, qui est maintenant visé : Juppé. A défaut, l’éternel centriste, Bayrou, se trouve ringardisé. Je l’ai dit, un effet positif du bazar (restons poli) ambiant du point de vue hollandais est que la droite est globalement inaudible : même ce blog, récemment, ne parle que de la gauche ! 😉
Entre l’émiettement sans fin des candidatures à la primaire (pourquoi pas Jean-Louis Debré, après tout, au point où nous en sommes ? ah non, c’est vrai, Debré, maintenant, est plutôt en concurrence avec le radicalisme version Tapie, anti-cléricalisme, décadence personnelle et impudence incluses) et le début des petites attaques sournoises (sur le vote des Français de l’étranger par exemple) ou des affrontements lourds (sur le programme économique et la « méthode »), la droite ne parvient pas, pour le moment, à occuper le terrain médiatique.
Jusqu’où Hollande maîtrise-t-il cette confusion ? La réponse est délicate et ne sera probablement donnée de manière certaine que postérieurement.
Mais les effets sont semble-t-il bien plus vastes, grâce à la complicité des médias et de la stupidité d’une bonne partie des électeurs (quand on entend « c’est bien, il faut du renouvellement » de la part d’électeurs du « peuple », on se pince… comme si un puceau politique encore accroché à une mère de substitution, élevé aux hormones de cabinet ministériel, c’est-à-dire de bureaucratie cheftaine –la sécurité du fonctionnaire sans sa soumission hiérarchique… le paradis !-, assis sur un tas d’or, adoubé par le patronat et les élites médiatiques, sans aucune expérience partisane et totalement déconnecté des réalités françaises, pouvait passer pour un gage de « renouveau »… bon, j’arrête là, mais cela fait du bien parfois de se lâcher! 😀 ), qu’initialement imaginé.
Ainsi, même l’extrême-droite est un peu troublée, grâce à une remarque sur Louis XVI et à une apparition lors d’une célébration johannique : de quoi attiser la crise interne qui grandit entre les tendances MMLP et Philippot.
La droite libérale dure est séduite par le jeune banquier aux dents longues (cf. Valeurs Actuelles et Kerdrel, ainsi que Geoffroy Didier).
La droite mainstream, qui fait assaut de programmes économiques libéraux (Fillon, puis Le Maire, puis Juppé), ne peut complètement rejeter le programme Macron, quand bien même il se réduit aujourd’hui à des mesurettes (les bonnes vieilles lignes de bus, comme dans les meilleurs films américains des années 50…).
D’ailleurs, dans le dernier sondage IFOP, la candidature Macron semble davantage faire reculer Le Pen que Juppé… Soit elle entraîne en réalité un décalage de certains électeurs sur leur gauche, du FN jusqu’au centre, chacun, à l’extrême-droite et à droite craignant un trop haut score de Macron. Soit l’électorat est encore volatil et le décalage de quelques semaines suffit à rendre les comparaisons avec les hypothèses Hollande ou Valls erronées. Soit, enfin, la stupidité de certains électeurs est telle que, par simple volonté de « renouvellement », de « changement », de « nouveauté », ils passent de Marine Le Pen, plus très « nouvelle », à Emmanuel Macron, alors même que, en termes de positionnement économique, social et européen, ils sont à l’exact opposé.
Cette « nouveauté », ce serait donc celle des shampooings qui contiennent davantage d’agents coiffants, celle de la nouvelle recette du flan au caramel ou celle de la nouvelle berline avec essuie-glaces pilotés par satellite… Mais, au regard de la malléabilité d’une partie du corps électoral, de l’influence grandissante des médias, d’une société caractérisée par le réflexe et l’instantanéité, l’éphémère et le jetable, la haine ou la peur de la « ringardise » et de l’opprobre qui y est associée, Macron constitue effectivement le dernier produit marketing à la mode.
Les effets positifs pour Hollande peuvent enfin se mesurer à gauche. L’hypothèse d’une concurrence de Manuel Valls, qui était envisagée, ne l’oublions pas, en 2014 (une éternité, hein…), est désormais écartée. Le Premier ministre est pleinement Premier ministre, coincé entre l’Elysée et l’ailleurs, obligé d’assumer tous les problèmes, contraint de parler et d’apparaître, empêché de s’autonomiser. Quant au positionnement de Hollande, il se trouve mécaniquement recentré par l’émergence de Macron. Ce serait ainsi une bonne introduction à la campagne formellement plus à gauche que prépare le président sortant (mâtinée aussi des bonnes vieilles recettes de l’antifascisme, bien entendu, et des clins d’œil terranoviens aux diverses catégories victimaires). Et un ralliement mis en scène de Macron parachèverait l’affaire en faisant réfléchir les ex-strauss-kahniens ou actuels juppéistes, les CSP+ qui veulent de l’efficacité et les « humanistes » horrifiés par le bling-bling (mais pas par la GPA 😡 ).
4. Mais évidemment, toutes ces manœuvres confusionnistes à la Hollande ont leur revers. Car si tous ces gens se présentaient réellement, ma foi, Hollande finirait peut-être à moins de 10 %… Mais si un seul se présentait, il ferait plus que prendre à celui qu’il est censé affaiblir et empièterait également sur le potentiel électoral hollandais.
La confusion doit donc durer jusqu’à la fin novembre mais ensuite, tout doit rentrer dans l’ordre. Toutefois, il sera peut-être difficile de faire rentrer tous les diables dans leurs boîtes, une fois tous sortis.
Hollande a la chance que les médias rentrent tous parfaitement dans son jeu, pour le moment. Mais il a face à lui de vraies forces, qui empêcheront probablement que son jeu ne fonctionne à plein.
D’abord, Mélenchon et le futur candidat de droite seront toujours là et la polarisation et la décantation à venir feront logiquement revenir les électeurs vers eux. L’intense et profonde impopularité du président et la difficulté de se repositionner à gauche en pleine loi El Khomri ne sont pas un gage d’avenir…
De même, Hollande est particulièrement affaibli à titre personnel et en termes d’autorité (si tant est que ce mot ait jamais pu lui être associé depuis 35 ans…). Et, de ce point de vue, les vagabondages de Macron (on parlait de « couacs » sous Ayrault, mais là, il n’y a plus de qualificatif, tant Macron se permet de contredire même le président dans les quelques minutes qui suivent ses déclarations), de Hulot, voire de Taubira (ou, en interne, de Montebourg) ne peuvent que renforcer son affaiblissement s’ils perdurent à l’excès.
Enfin, Macron, comme une rose « forcée » du Kénya destinée à un cadeau artificiel et éphémère d’un consommateur parisien, a trop vite émergé et pourrait ne plus faire effet dès l’été, ne perturbant finalement pas la primaire de la droite et du centre et ayant, dans l’intervalle, affaibli Hollande en renforçant l’image de « bazar » d’Etat.
5. Sauf, bien sûr, si Macron a bien échappé à son créateur, tel le pécheur originel (ce à quoi tout son être personnel et politique le renvoie d’ailleurs, soit dit en passant…) ou telle la créature de Frankenstein.
Dans ce cas de figure, Hollande aura été le plus imprudent des tacticiens politiques, même s’il faut relativiser les dégâts potentiels.
En effet, quand le schéma traditionnel aura repris ses droits, vers la fin novembre, Hollande sera le candidat du principal parti étiqueté à gauche, le PS. Et il aura face à lui la candidate du FN et le représentant de la droite et du centre-droit.
Surtout, même si Macron confirmait une candidature, il ne serait qu’une sorte de JJSS ou de Bayrou rajeuni. Quoi qu’il arrive, il aurait un candidat socialiste face à lui, soit Hollande, soit un(e) autre, réalisant évidemment l’unité du PS contre lui : ce n’est pas Collomb, Dray, Terrasse et quelques autres qui font la désignation du candidat, évidemment, et Valls et ses troupes se rangeraient plutôt derrière une Aubry perdante –et donc libérant la voie pour l’après-2017- plutôt que de soutenir le jeune rival direct ; quant au reste du PS, ma foi, avaler la loi El Khomri, après le tournant sécuritaire de novembre 2015, est bien entendu le maximum tolérable… Se rallier à une candidature Macron est proprement inconcevable.
Or, en dehors du PS, Macron n’a ni parti, ni structure forte et ancienne. « En marche! » n’est, pour le moment, rien du tout, quel que soit le battage médiatique effectué.
De plus, sa popularité est factice : tel un Kouchner populaire à droite ou une Veil populaire à gauche, il n’est pas si fort car le capital de popularité ou de sympathie ne se transformerait pas en votes sonnants et trébuchants.
En termes d’intentions de vote, les résultats des deux sondages IFOP et ELABE sont ainsi trompeurs : tester Macron comme candidat socialiste est proprement grotesque, car totalement irréaliste. S’il est candidat, Aubry, Montebourg, Valls, Hamon, peu importe, quelqu’un le sera contre lui, c’est une évidence, quand bien même il recevrait l’onction hollandaise (encore faudrait-il d’ailleurs que Le Foll, Cambadélis, Sapin, Le Drian ou Cazeneuve y consentent, ce qui est loin d’être garanti…).
Or, en cas d’hypothèse Aubry (ou Valls)-Macron-Bayrou contre Sarkozy, ou même Aubry (ou Valls)-Macron sans Bayrou face à Juppé, la division à gauche et au centre-gauche serait suffisante pour empêcher tout espoir d’éviter un duel de second tour FN-LR.
Les sondages sont essentiels et très utiles, sauf lorsqu’ils portent sur du vent, comme au cas d’espèce…
6. Plus largement, jusqu’à présent, le système politique n’a pas permis que l’émergence d’un candidat hors système partisan se transforme en succès présidentiel.
Avec Macron, l’élection de 2017 tient peut-être en effet son candidat « surprise ».
Car presque chaque élection a connu un emballement médiatique, voire sondagier, voire d’opinion, autour d’un nom qui tranche avec les candidats « institutionnels » et prévisibles, qui fait éventuellement « rêver » et qui, de plus en plus, se résume à un test avant lancement d’un nouveau produit…
De manière raisonnable, de tels emballements ont toujours échoué.
Parfois parce que la nouveauté fut diluée par l’institutionnel et le partisan,
déjà suffisamment nouveau en soi (Lecanuet en 1965, Giscard en 1974, Sarkozy et Bayrou en 2007, Le Pen et Mélenchon 2012),
ou faussement « hors système » ou « de renouveau » (Chaban en 1974 en réalité candidat par défaut du vieux gaullisme, Barre en 1988 en réalité candidat UDF, Balladur en 1995 en réalité candidat UDF),
ou suffisamment indécis pour maintenir en haleine médias et électeurs et empêcher les candidats « surprises » hors partis d’émerger (Delors en 1994-95, Villepin en 2005-06, Rocard en 1987-88).
L’élection de 1969 a constitué une exception, la candidature de Mendès-France n’ayant pu s’intégrer au jeu normal de la Ve République, par choix de principe.
Mais, plus sûrement, la nouveauté, la surprise, ont fait « pschitt » pour citer le président Chirac. Ainsi, Defferre (ou plutôt « Monsieur X » soutenu par JJSS) pour 1965, Coluche pour 1981, Juquin pour 1988, Tapie et Villiers pour 1995, Chevènement pour 2002, Bové et Hulot pour 2007, Villepin et Hulot pour 2012 ont tous bénéficié d’un emballement médiatique à un moment ou un autre, mais sans se muer en menace sérieuse.
Aujourd’hui, aucun candidat hors parti, ou issu de formations marginales, ou « citoyen » ne semble en mesure de s’imposer, car il est déjà presque trop tard : l’été approche, l’automne jusqu’en novembre sera « primaire », puis hollandais et éventuellement bayrouiste en décembre, puis la vraie campagne commencera, ne laissant plus, à partir de janvier, le champ libre qu’à des progressions surprises des grands ou moyens candidats déjà en lice. Et le mouvement social en cours, qui aurait pu porter une figure surprise, déjà faible dans un contexte économique rude et un contexte médiatique favorable au libéralisme bon teint (de Juppé à Macron en passant par Gattaz et Pigasse), se dilue sous les coups de boutoir de l’ultra-gauche (et des enfants glandeurs de l’élite bobo…).
Quant aux candidats des petits partis, ils manquent singulièrement de renouvellement, comme nous l’avons déjà remarqué à gauche et comme nous le soulignerons bientôt au centre et à droite.
Aussi, peut-être Macron sera-t-il le candidat surprise, le candidat virtuel mais jamais réel, le seul de cette élection. Le parallèle avec « Monsieur X », ou plutôt avec son concepteur, Jean-Jacques Servan-Schreiber, est d’ailleurs tentant… Mais ce centre-gauche moderniste n’a eu qu’une importance politique marginale, recyclé au centre, instrumentalisé par le giscardisme ou dissous dans la « deuxième gauche »…
Ces considérations nous amèneront naturellement à traiter prochainement du « marais central », avant de partir vers les contrées de l’extrême-droite et de la droite dure, qui promettent peu de surprises.